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I – Historique du développement industriel guinéen de 1958 à nos jours
1.1 – 1958 – 1984 : La Période de l’Etat Central Investisseur et Gestionnaire
L’Investissement massif de fonds publics dans la création d’entreprises étatiques
En 1958, à l’accession du pays à l’indépendance (le 2 octobre), le secteur industriel manufacturier guinéen hérité de la période coloniale était constitué de quelques unités industrielles (pas plus d’une vingtaine) dont l’activité était axée sur :
Ces unités industrielles étaient souvent des filiales de sociétés privées d’origine française ou la propriété de quelques hommes d’affaires de diverses nationalités étrangères (libanais, syriens ou autres) ayant prospéré initialement dans les activités de commerce import-export. Du point de vue de la répartition géographique, elles étaient implantées pour plus de 80% à Conakry, et pour les autres, celles opérant dans l’agrobusiness principalement, dans l’arrière-pays (à Maferenya, pour l’unité de transformation de l’ananas, à Sérédou pour la production de la quinine, à Kissidougou et Nzérékoré pour les scieries de bois, etc…).
Exploitées selon les principes de la gestion privée, ces unités industrielles constituaient les bases du développement d’un secteur industriel prospère fondé sur le riche potentiel économique (agricole, sylvicole, halieutique, hydraulique, minier) du pays.
A partir de 1958, en raison de l’option des autorités de la toute jeune et nouvelle République pour une économie de type socialiste, centralisée et volontariste, les unités industrielles héritées de la période coloniale sont toutes nationalisées. Puis, à partir de 1963, dans le cadre du plan triennal de développement adopté par l’Etat Guinéen pour asseoir l’indépendance économique du pays, le Gouvernement entreprend, dans le secteur industriel manufacturier, un programme de construction de nombreuses nouvelles entreprises publiques ainsi que l’extension et la modernisation des entreprises industrielles héritées de l’époque coloniale. Ce programme qui se poursuivra jusqu’au début des années 80 est fondé sur une stratégie qui visait deux objectifs majeurs :
A la faveur de ces programmes d’investissement public, une quarantaine d’entreprises sont créées ou sont l’objet d’extension ou de modernisation. Du point de vue de la répartition géographique, elles sont établies à environ 60% dans la région de Conakry, la capitale, et ses environs, et se retrouvent dans tous les sous-secteurs de l’industrie manufacturière, comme l’indique le tableau T1 ci-dessous qui en donne une liste quasi exhaustive
Des entreprises publiques mal gérées, inefficaces, et coûteuses pour les finances publiques
Ces entreprises publiques relativement nombreuses et réparties de façon équilibrée entre différents sous-secteurs, en conformité avec le potentiel du pays et les besoins du marché, constituaient au regard de nombreux observateurs extérieurs les bases prometteuses d’une industrialisation réussie du pays à moyen et long termes.
Dans la réalité, plusieurs évaluations, dont celle émanant de la conférence de l’industrie organisée en octobre 1980, sous la Première République déjà, montrent qu’elles affichent, à de rares exceptions près, des contreperformances tant financières qu’économiques qui font qu’elles sont loin de répondre aux attentes qui ont justifier leur réalisation au prix d’investissements massifs de l’Etat. Leur exploitation est caractérisée par des pertes financières chroniques qui nécessitent d’importantes subventions du budget national, d’année en année, pour maintenir des effectifs pléthoriques, inefficients et mal payés dont le recrutement est orienté par des préoccupations plutôt d’ordre social et politique. Leur gestion est assujettie à une centralisation qui prive leurs dirigeants de toute autonomie et de tout pouvoir réel, les décisions de gestion relevant de la responsabilité, selon les cas, du Ministère en charge de l’Industrie et/ou d’un organe étatique dénommé Office de Coordination Financière des Industries (OCOFI). Ce qui entraîne des dysfonctionnements qui ont pour effets récurrents des ruptures de stocks de matières premières, l’incapacité à renouveler ou à réparer les équipements ou encore des difficultés de trésorerie préjudiciables à leur fonctionnement régulier et rentable.
Globalement, le constat au début des années 80, confirmé par le rapport de la conférence nationale de l’industrie d’octobre 1980, la quasi-totalité des entreprises industrielles, si elles ne sont pas à l’arrêt, fonctionnent à moins de 40% de leurs capacités nominales tout en maintenant des personnels pléthoriques qui continuent de bénéficier de leurs salaires grâce aux subventions du budget national.
1.2 Période 1984 à 2010 : L’amorce de la redistribution des rôles entre l’Etat et le Secteur Privé
Privatisation massive des entreprises publiques
A partir de 1984, avec la disparition du Chef de l’Etat et la prise du pouvoir par les militaires, les nouvelles autorités, après l’évaluation de la situation économique du pays conduite avec l’appui et les conseils d’organismes spécialisés dont la Banque Mondiale et le FMI adoptent un vaste programme de redressement économique et financier (PREF) qui préconise, entre autres mesures, la privation ou la liquidation des entreprises publiques dans les secteurs de l’industrie, des banques et assurances, le commerce et autres services.
L’idée qui fonde ces mesures est que l’Etat doit limiter son rôle dans le domaine de la création et de la gestion des entreprises à celui de régulateur et de facilitateur pour stimuler l’intervention du secteur privé et mettre à profit ses ressources financières, son savoir-faire, sa rigueur et son efficacité en matière de gestion.
Concernant le secteur industriel, à la suite d’un diagnostic approfondi, les entreprises concernées sont classées en trois catégories :
Une dizaine d’entreprises sont effectivement reprises par des opérateurs privés et remises en activité. Ce sont d’abord toutes celles qui avaient été classées dans la catégorie « à garder dans le portefeuille de l’Etat » (sobragui, bonagui, ciments de Guinée, etc.) plus quelques autres initialement classées « à privatiser ».
Une dizaine d’autres entreprises ont été purement et simplement liquidées. Ce qui subsistait de leurs actifs, terrains et bâtiments essentiellement, a été cédé à des particuliers qui en ont fait l’usage qui leur semblait le plus rentable. Cas des entreprises soguifab, briqueterie de kobayah, usine de céramique de Matoto, etc.
Concernant les entreprises jugées privatisables, les tentatives de reprise (répétées pour certains cas) ont échoué, et à ce jour, ce sont une vingtaine d’anciennes entreprises publiques qui se retrouvent dans le portefeuille de l’Etat dans l’attente de trouver un repreneur. Les chances effectives de reprise de la majorité de ces entreprises par des opérateurs privés nous semblent compromises par les contraintes principales ci-après :
Mise en œuvre de stratégies de relance du secteur industriel fondées sur l’ouverture au secteur privé national et étranger
Dans la foulée de la privatisation qui a produit des résultats plutôt mitigés, le Gouvernement, à travers le ministère en charge de l’industrie, élabore de nouvelles stratégies qui visent à relancer le secteur industriel à travers une vision holistique de ses problèmes.
En 1990/91, est élaboré, avec l’appui de l’ONUDI (Organisation des Nations Unies pour le Développement Industriel) un Schéma Directeur d’Industrialisation (SDI) fondé sur l’analyse de 16 filières industrielles parmi lesquelles celles qui offrent des avantages comparatifs pour la Guinée ont été retenue pour en faire les piliers du développement industriel du pays. Les filières agro-industrie et industrie agroalimentaire, industrie des matériaux de construction, industries chimiques et dérivés, industries des corps gras, industries des métaux et de la mécanique sont retenues comme les plus avantageuses et des mesures spécifiques sont préconisées pour assurer leur essor selon une démarche de chaîne de valeur.
En 1996/1997 est élaboré, avec l’appui du PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement) et de l’ONUDI le Programme Cadre de Promotion du Secteur Privé (PCPSP) qui a pour axes principaux le renforcement de la capacité du secteur privé et l’amélioration du climat des affaires pour favoriser les investissements privés endogènes et attirer des IDE, conditions sans lesquelles le SDI lui-même ne saurait aboutir aux résultats escomptés. C’est dans le cadre du PCPSP qu’est organisé en 1998, le premier Forum International des Investisseurs en Guinée (Investir en Guinée, qui attira à Conakry plus de 400 participants étrangers venus des d’Europe, des Amériques, d’Asie, d’Océanie et d’Afrique. Ce Forum eut au minimum pour effet d’améliorer la visibilité de la Guinée dans les milieux d’affaires internationaux et de donner lieu à la signature de quelques accords de partenariat entre opérateurs économiques guinéens et étrangers.
Les mesures préconisées par le SDI et le PCPSP étaient globalement de nature à impulser une dynamique nouvelle au développement du secteur industriel et de l’économie guinéenne dans son ensemble. Mais leur mise en œuvre n’a pas été favorisée par la malgouvernance et l’instabilité politique et institutionnelle.
II – des progres significatifs, mais toujours une faible contribution au PIB
Même si toutes les mesures, stratégies et politiques initiées depuis 1984 en faveur du secteur privé et de la promotion de l’activité industrielle manufacturière, n’ont pas produit tous les effets escomptés en termes d’accroissement de la valeur ajoutée manufacturière (VAM), elles ont produit des incitations suffisantes pour motiver les opérateurs privés les plus optimistes à investir dans la réalisation de nombreuses unités industrielles dans tous les sous-secteurs.
Au titre de ces incitations l’on peut citer i) l’adoption d’un Code des Investissements en 1987 au caractère libéral prononcé, qui a été amendé en 1995, puis fondamentalement révisé en 2015 par la Loi L/2015/008/AN du 25 mai 2015, l’élaboration, depuis 2010, avec l’avènement de la 3ème République, de nombreuses réformes visant à améliorer l’environnement des affaires au profit du secteur privé reconnu comme moteur de la croissance.
A ce jour, selon les chiffres non exhaustifs de la Direction Nationale de l’industrie, qui pourraient être revus à la hausse après un recensement approfondi conduit avec l’expertise requise, le secteur industriel manufacturier guinéen compte environ une centaine entreprises en activité, tandis que l’Administration compétente enregistre en moyenne, chaque mois, une dizaine de demandes d’accès au avantages du Code des Investissements relatives à la création de nouvelles unités industrielles ou à l’extension/modernisation de celles existantes.
III – Quelle stratégie pour l’industrialisation accélérée de la Guinée ?
En dépit des progrès réalisés depuis 1984 (voir supra), la part de la VAM dans le PIB guinéen demeure très faible, à 5,7% comparée à la moyenne régionale africaine (10%)et à la moyenne des autres régions du Monde (20%°).
Toute stratégie de développement industriel de la Guinée devrait se fixer pour objectif raisonnable de porter la part de la VAM dans le PIB à un minimum de 10%, correspondant au taux de la Région Afrique, dans les cinq prochaines années, puis viser le taux mondial dans les 10 années suivantes.
Les actions à mener à cet effet devront s’inscrire dans cinq axes, dans le cadre de la politique de développement industriel accéléré qui fait l’objet de la présente étude.
L’approvisionnement des industries locales en matières premières et intrants est assurée à plus de 90% par des importations de produits dont la transformation ne génère dans une large proportion qu’une très faible valeur ajoutée.
Il est nécessaire, pour accélérer l’accroissement de la VAM nationale de mettre en œuvre une stratégie orientée vers la transformation des produits primaires locaux, principalement agricoles, dont l’un de premiers effets positifs serait d’offrir un débouché solvable aux producteurs locaux et de les inciter à investir dans l’accroissement de leur offre de produits. Il s’agira dans un premier temps d’encourager la création de petites unités dont la taille en terme de capacité nominale est déterminée en rapport avec la capacité d’offres de produits locaux comme matières premières au moment de leur création. Une capacité de traitement de 10% à 25% de la production totale de matières premières d’une région naturelle (Haute Guinée, Basse Guinée, Moyenne Guinée, Guinée Forestière) serait raisonnable
Conclusion
Ces différentes propositions en terme de stratégies de développement ne sont que des pistes de réflexion pour des analyses plus approfondies qu’il conviendra de mener très rapidement afin de mettre en œuvre un plan d’action simple, réaliste et réalisable à court et moyen terme pour le développement du secteur industriel et de l’économie de la Guinée.
Dianka Koévogui
Directeur général de l’AGESPI et Ancien Conseiller Principal,
Ministère de l’Industrie et des PME
MOUSSA CAISS SYLLA
Écrit par: Razakou Moussa
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